Tegucigalpa

François Jomini

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François Jomini, « Tegucigalpa », Revue Quart Monde [En ligne], 164 | 1997/4, mis en ligne le 01 mai 1998, consulté le 29 mars 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/4901

Ce mois de février 1995, quand nous sommes rentrés chez nous à Nueva Suyapa, quartier populaire de Tegucigalpa1, le chauffeur de taxi hésitant, grognait : « el barno de blo », le quartier du diable...

Il m'est arrivé de dessiner notre rue.

Une rue de terre rouge. Battue par la sécheresse les pieds nus des enfants, des femmes et des hommes, porte-faix de ces denrées vitales, si chères : le bois ramené de la montagne où la forêt recule de cinq kilomètres en six ans, et l’eau puisée au creux de ruisseaux noirs desséchés.

Des enfants des jeunes de notre voisinage, m entouraient très vite quand je dessinais. Ils délaissaient leurs jeux et leurs tâches, avec un enthousiasme qui n'a cessé de m'étonner. Des enfants, pour la majorité en rupture d'école, des jeunes en quête de travail.

Ils prenaient du papier « bond » pour machine à écrire dont j’avais un stock plus élevé qu'il n'y a de vieux journaux dans toutes leurs maisons réunies. Des crayons que j’avais plein les poches.

Ils déposaient à côté d’eux, l’un sa cuvette de maïs, l’autre sa toupie taillée dans un noyau de fruit. Un autre encore sa colère noyée dans la fumée de la marihuana. Les plus petits d'entre eux dessinaient déjà.

Quelques jeunes regardaient mon croquis de la rue par dessus mon épaule. Ils reconnaissaient des gens : Don Chepe qui creuse la tranchée autour de sa maison, parce qu’ici, il n'y a pas d'égouts ; Dona Chela qui s’en va vendre les tortillas ; Magdalena, la fille de Dona Carmen qui remonte la côte pour la troisième fois avec un seau d'eau sur la tête ; un type à bicyclette c’est drôle et rare ; un groupe d'enfants qui jouent au foot sur une pente bosselée à soixante degrés. On voyait aussi Don Luvino, assis à l’ombre d'une palissade. Quand il avait un travail, il ne buvait pas, il mettait un point d'honneur à bien le faire. Au fur et à mesure que les jeunes reconnaissaient des gens sur ma page, ils rigolaient, ils m'interrogeaient du regard cherchant probablement à savoir ce que je pensais, en cet instant, de Don Luvino et des autres…

C'est Brandon le premier d'entre eux qui s’est mis à dessiner sa rue. Un gars fier, qui nous toisait d ordinaire avec ironie, nous les « gringos », les riches. Maintenant, les copains se rassemblaient autour de lui. Il régnait une bonne ambiance. Une grand-mère, au visage ridé comme les ravines de Tegucigalpa, nous regardait en hochant la tête.

J'aidais Brandon à dessiner la perspective, mais lui, c'était surtout les gens qui l'intéressaient. Il saisissait la vie de la rue. En deux ou trois coups de crayon que les copains acclamaient. C'était des croix de jambes et de bras, mais le plus étonnant, c'est qu'on reconnaissait tout de suite les gens.

Les copains ne se moquaient plus, ils se taisaient, certains s'étaient assis à leur tour, s'y essayaient, d'autres collaboraient en suggérant de rajouter tel ou tel détail.

Le dessin de Brandon provoquait un regard différent, respectueux, chaleureux, du cœur de la vie. C'était fait avec soin, dans un moment de paix, d'une main déjà calleuse d'homme de peine.

Souvent, dans d'autres quartiers où nous allions quotidiennement avec des livres, se reproduisait une expérience semblable : parfois je faisais les portraits des enfants et ils ouvraient tout grands les yeux : « Regarde le sourire de mon frère ! » criait une fille joyeusement.

Je ne sais pas à quoi sert l'art, et encore moins s'il est vraiment utile aux plus pauvres. La question ne se pose pas, d'ailleurs, en termes d'utilité ou de rendement. Il faut accepter, au-delà de l'action, que l'essentiel de ce qui transforme nos vies, est d'ordre purement irrationnel. Je peux ressentir que l'art nous transporte au seuil d'une certaine qualité de compréhension : une révélation, et je sais qu'un enfant ressent cela. Quand un enfant de trois ans griffonne des signes, ou pétrit, ou « comprend » la matière et l'espace par quelques gestes que ce soit, il expérimente un volume incroyable de sensations, de mécanismes, il développe une concentration extraordinaire, il acquiert plus de connaissances nouvelles en deux heures qu'un polytechnicien en deux ans. Connaissance objective et connaissance intérieure. C'est le commencement de l'art : cette soif immense d'exploration objective et intérieure d'un enfant de trois ans. La soif d'intelligence est la plus tenace.

L'homme, dès son plus jeune âge, sait qu'il va mourir, se demande pourquoi il vit, donc tente de donner un sens à sa vie, et dès son jeune âge, il dit aussi : « C'est beau ! » C'est totalement ; mutile le beau. Mais c'est dans l'inutile qu'on peut se jouer du destin : lutter contre une sorte de fatalité, un poids de l'existence, se battre pour s'insérer dans un monde qui nous a plus ou moins vaincus. Le beau, d'emblée, rend caduque cette fatalité. Quand tu crées, tu peux dire : vous pensiez que j'étais acculé à essayer de survivre, eh bien non, moi je peux aller au-delà des limites que vous me fixez par le fait d'être pauvre. Toute la réflexion sur la lutte contre la misère, la pauvreté enferme les gens dans cette logique du destin : « Tu dois vaincre un destin. » Mais tu ne le vaincs jamais, puisque aucun homme ne sort de cette logique : qui que tu sois, où que tu sois, tu passes ton temps à vivre, survivre, penser à tes enfants, etc. Si tu as accès à l'inutile, tu as accès à une logique totalement nouvelle. Il y a quelque chose qui d'emblée fait exploser les frontières matérielles, physiques, etc., que tu connais tous les jours. Tu passes à une autre dimension. C'est une sorte de pied de nez. Majestueux à la mort et au destin. Il y a, comme ça, une pirouette qui fait que tu te dépasses. Comme dans la tauromachie, quand – par choix, libre tu avances face au taureau. C'est ce qu'il se passe dans l'art, dans le beau, qui sont pure liberté. Tu joues une autre partie, tu passes dans une autre catégorie. Comme quand tu te joues de la mort. Et ça, c'est profondément humaniste, tu touches à ce qui fait ta spécificité d'homme. Il y a une sorte de frénésie de l'homme pour maîtriser quelque chose qui est l'homme.

Pendant longtemps, on a recherché l'âme, des médecins étaient obsédés de savoir où était l'âme. On cherchait un organe qui était l'âme, qui s'échapperait du corps au moment de la mort. Frédéric II de Sicile faisait des expériences inhumaines à ce sujet. Par exemple, il enfermait un homme dans une caisse, qu'il colmatait avec de la cire, et il attendait que l'homme meure, pour voir s'il y avait quelque chose qui s'échappait de cette caisse.

La chose la plus violente qui nous soit donnée de vivre, c'est de découvrir l'essentiel. Au moment où tu découvres ce qui est vraiment essentiel, tu es perdu : il y a une sorte de cruauté dans l'art. Rilke disait : le beau n'est rien d'autre que le commencement de terrible. Si tu accèdes au beau, qui te parle d'indicible, de l'invisible, de quelque chose de supérieur, tu te rends vite compte, c'est même automatique, que c'est cela l'essentiel. Et donc, il y a une sorte de violence et tu te dis : mais où est l'essentiel ? Cet essentiel, tout à coup, n'est plus là où on dit qu'il est. On bute toujours là-dessus : l'essentiel, il est o ? C'est une douleur de découvrir l'essentiel. C'est insupportable, parce que tu passes ton temps à t'occuper de choses qui ne sont pas essentielles. C'est ce que tu rencontres dans la philosophie, la religion, l'art. Peut-être que l'essentiel n'était pas là où on croyait ; si la vie n'était pas comme on croyait ; si l'important n'était pas ce qu'on a toujours appelé l'important ? C'est en ce sens qu'il y a une sorte de dénonciation du monde, en ce sens que l'art dénonce le monde.

Si tu dis que les gens ont d'abord besoin de beau, ça ne passe pas. Par contre, les gens comprennent qu'il y a un besoin spirituel chez l'homme : pas forcément au sens religieux, mais un besoin de « ce qui est de l'ordre de l'esprit ». L'art est un accès à la spiritualité. Hegel dit que l'homme ne veut pas rester tel que la nature l'a fait. Le destin de tout homme est de vaincre ses fatalités, fatalités du corps, de la vie, etc. Tout tableau, tout courant d'art représentent une sorte de volonté de la vaincre sa propre nature.

Dans L’art, tu dépasses tout, tu rends visible ce qui ne l'était pas. L'art n'a plus rien à voir avec le visible de la nature, mais il rend visible les choses. L'art rajoute, le beau rajoute quelque chose. Le coucher de soleil devient beau, parce qu'il y a l'homme qui le regarde et, quand tu dis qu'un coucher de soleil est beau, tu rajoutes à la nature. Tu dépasses l'ordre naturel parce tu arrives à avoir des choses une expérience esthétique, c'est-à-dire à voir autre chose. Si tu as une expérience esthétique, tu as une expérience de l'esprit par rapport aux choses. Giacometti disait que tout le dépassait, qu'il ne voyait rien, que même le pied d'une chaise le dépassait. Mais en arrivant à peindre ce pied, il passait à un autre plan.

Ce qui est mis en cause dans l’art, c'est toujours l'intérieur de l'homme. Un tableau, cela se voit, tu peux en admirer la technique, tu peux le manipuler, cela passe par les sens et, pourtant, c'est ton intérieur qui est touché. Peu ont conscience de l'importance de l'expérience du beau et peu arrivent à le formuler. Tu as une profonde égalité entre les hommes, dans cette affaire. Et comme l'art est toujours bizarre, comme le disait Baudelaire, cela ne facilite pas le discours. Pourtant, chacun fait à un certain moment l'expérience de cet indicible et les philosophes, les mystiques, les scientifiques et les artistes ont tenté de le dire. Tous arrivent à une limite quand il faut le nommer. N'est-ce pas cette limite qui relie les hommes entre eux ? L'art pourrait être le point de touche de cette limite. Avec le beau, ce qui est en jeu, n'est-ce vraiment que ce que l'on croit ?

Olivier Beyeler

Le peintre Miró ne peignait pas pour émouvoir, il s'adressait à l'intelligence de l'homme.

Cependant, la révélation intérieure n'est qu'un bout du processus, celui qui touche à l'invisible, à l'intangible. L'autre bout est absolument concret, matériel, utilitaire : l'outil, la main, le geste. C'est avec cela qu'on explore le temps, qu'on organise l'espace et qu'on transforme la matière. Avec les sens ouverts comme des fenêtres. Dans la misère : que deviennent le temps, l'espace, la matière ?

Le temps planifié, les terrains bien plats et l'eau courante au robinet... tout cela peut nous faire oublier que la première création de l'homme, c'est de résister.

Brandon, comme souvent d'autres enfants, m'a confié son dessin avec désinvolture. Ça signifie : fais-moi signe quand tu recommences. C'est l'instant qui est précieux, son retour qui est une promesse, et sa pérennité, le temps, qui deviendra projet.

C'est pareil pour le geste. L'art est au bout, mais il est déjà au départ.

La première fois.

Renouvelée, cette expérience qui consiste aussi à engendrer par l'intermédiaire d'un regard neuf le reflet de sa propre identité, les artistes le savent bien, c'est à la fois la source et le fleuve...

Mais source et fleuve dans les hommes qu'il traverse, dans les hommes qu'il engendre - et qui l'engendrent... -, l'art, que doit-il aux misérables, aux ignorants ? De quoi leur est-il redevable ? La source ? Le fleuve ?

Il n'est pas anodin, à mon sens, que le père Joseph Wresinski ait associé les mots « art » et « poésie » pour désigner, de manière assez générale, toutes les actions culturelles du Mouvement ATD Quart Monde avec des familles très pauvres, les actions de partage du savoir.

Je pense à cette esthéticienne désireuse d'être utile, et qui avait honte d'avouer au père Joseph le métier qu'elle exerçait, tellement il lui paraissait indécent, rutile, devant cette misère du bidonville. Dans ce bidonville, le père Joseph lui proposa d'ouvrir un salon de beauté.

Il n'y aura jamais de méthodologie pour détruire la misère, pour faire un monde plus juste. Personne d'ailleurs ne voudrait plus croire en cela, ou, le cas échéant, cela deviendrait dangereux.

L'art n'a pas sa place dans la lutte contre la misère parce qu'il aurait un rôle particulier à y jouer. Ni culturel, ni social, ni politique... peut-être juste interpersonnel. Il n'y aura jamais que des hommes qui se rencontrent et qui se partagent l'essentiel de ce qu'ils sont, qui se partagent ce qu'ils savent et ceux qu'ils aiment. Et qui l'expriment.

L'art, c'est le geste appris, le geste répété, le geste destiné. Le geste qu'un jour peut-être, on saura maîtriser. Le geste indéfiniment recommencé.

Il n'y a que les vieux qui deviennent des artistes...

Bien avant l'aube, une femme s'est levée. Elle est dans la cuisine La cuisine, c'est un coin de la cour avec un foyer « el horno » - maçonné en argile, en « adobe », selon un mode de fabrication qui remonte aux temps immémoriaux. Elle a préparé la « maza », la pâte de maïs bouillie dans l’eau salée, dans laquelle une petite adjonction de chaux garantit la liaison. Entre ses mains nues, elle façonne les galettes, les tortillas, qui seront le menu principal de la journée, pour toute la famille. Une part de la production sera vendue par sa fille aînée, afin de pouvoir acheter le mais du lendemain. Le fils ira chercher le bois dans la montagne pour le feu. Il faudra aussi chercher l'eau, faire la lessive, trouver un médicament pour la bronchite du plus petit…

La pâte vole prestement d'une main dans l'autre de cette femme. Plic-ploc. Le bruit organique de la pâte sur la peau se mêle au crépitement des flammes, au caquètement des poules comme un son de la nature. Son rythme berce le sommeil des enfants. La femme chantonne.

Les premières tortillas grésillent sur le « comal » un disque de tôle martelée, posé sur le foyer, qu’elle avait acheté à un marchand de passage. Cet homme découpe des « comals » aux abords d'une décharge où il récupère les déchets de métaux. Il enseigne ce travail à ses fils.

Maintenant le quartier s'éveille au rythme des premières lessives. Au rythme du geste inlassable des « tortilleras ».

Mais dans une cour qui n'en est même pas une tant elle est déjà sur le chemin il arrive que le foyer ne soit plus qu’un cratère noir et branlant. On a perdu l’immémorial secret de le faire.

Il arrive aussi que personne ne voudra acheter les tortillas d’une femme : elle ne les fait pas bonnes, il faut voir ses gosses, comme ils sont mal nourris…

Une famille ne balaie plus son bout de rue devant sa porte : et cela étonne les autres parce ces gestes-là viennent de si loin.

Avec la misère, il arrive que les gestes se cassent.

Un homme arraché de son champ, suspendu entre saisons, emporté par l’errance, avec les siens, de nulle part en nulle de part, comme un fétu fragile. Jusqu'aux rives des villes-mirages. Gouffres à pauvres. L'errance disloque la famille. Il n'y a plus de terre et plus de ciel : que le macadam et pas d’abri. Plus de temps ni de rythme, que de l’errance. Plus de geste et plus d’outil.

Comme pour ce mendiant qui dormait entre les pas d’une foule pressée, encore confiant, avec encore un peu d espérance dans la main ouverte.

La misère c'est cela : n'avoir rien à donner. Père Joseph Wresinski, Écrits et paroles, Éditions Saint Paul - Quart Monde, 1992, p.46.

Un soir au marché, je faisais la queue pour prendre un des minibus qui ramènent par fournées bien serrées les travailleurs de Nueva Suyapa. Un jeune homme à côté de moi m’interpelle : « Regarde… » Il cache entre les pages d’un quotidien le petit opuscule d’un poète martyr de la révolution, Otto René Castellano. Le jeune homme se nomme Jorge. Il est vendeur de glaces ambulant, et par ce travail soutient sa mère malade. Comme un ami, Jorge me fait connaître le poète guatémaltèque. Dans le minibus brinquebalant, où nous sommes entassés comme seuls les pauvres savent s’entasser en paix, Jorge lit à voix haute : « Somos los exilados… » Nous sommes les exilés. Sa voix est forte, franche et cordiale. Devant moi, autour de moi, les tâcherons fourbus redressent le dos. Un homme rude, fier, ému s’extrait du véhicule et demande à Jorge d'une voix bourrue : « 0ù est-ce qu'on trouve des livres comme celui-là ? »

La poésie ? Nous sommes bien trop petits pour l’expliquer, mais jamais assez petits encore pour la comprendre.

Dans le cas des œuvres d'art, la réification est plus qu'une transformation ; c'est une transfiguration une véritable métamorphose dans laquelle, dirait-on, le cours de la nature qui veut réduire en cendres tout ce qui brûle est soudain renversé, et voilà que de la poussière même peuvent jaillir les flammes… Hannah Arendt, Condition de l'homme moderne, Calmann-Lévy, 1961.

De cette métamorphose qu'on ne peut guère décrire surgissent des complexes tels que Fie-toi à tes sens ! et Crois ! / Nous en souffrons souvent : cendre deviennent les flammes / et cependant, dans l'art, flammes devient poussière. / Là est la magie Dans le domaine du Magique / le mot commun semble porté au pinacle... / et cependant en vérité il est comme le cri du maître des colombes qui appelle des oiseaux invisibles. Rainer Maria Rilke, in Taschen-Buchern und Merk-Blättern. (Trad. Odile Pompey)).

Il faut accepter, au-delà de l’action, que l’essentiel de ce qui transforme nos vies, est d’ordre purement irrationnel.

1 Capitale du Honduras

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François Jomini

François Jomini, 38 ans, Suisse. Marié deux enfants. Volontaire du mouvement ATD Quart Monde De1988 à 1992 initie à la peinture, gravure, sculpture, des enfants de familles très pauvres a atelier « Art et Poésie », de la maison Joseph Wresinski à Genève. De 1992 à 1996 vit, avec sa famille, dans un quartier très pauvre de Tegucigalpa, Honduras, pour rassembler enfants, jeunes et parents autour du partage du savoir dans la rue. Actuellement, il anime un atelier d'art, au centre international du Mouvement ATD Quart Monde.

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