Des enfants semeurs de paix dans la communauté.

Elisa Hamel et Philippe Hamel

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Elisa Hamel et Philippe Hamel, « Des enfants semeurs de paix dans la communauté. », Revue Quart Monde [En ligne], 195 | 2005/3, mis en ligne le , consulté le 29 mars 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/548

Dans l’est de la République Démocratique du Congo, dans la région du Kivu, la population est épuisée par une dizaine d’années de conflits armés, par la violence, l’insécurité et la misère. La guerre a tué la plupart des initiatives qui existaient dans les quartiers. Les salaires des fonctionnaires, des enseignants, des policiers ou des militaires ne sont pas payés depuis plusieurs années. Chacun essaie de se procurer de quoi vivre par n’importe quels moyens et cela renforce l’insécurité. Pendant ce temps, les enfants restent seuls à la maison. Beaucoup ont été chassés de l’école parce que leurs parents ne pouvaient pas payer les frais de scolarité. Pourtant, des enfants deviennent bâtisseurs d’espoir...

Dans la ville de Bukavu, les familles pauvres se sont installées à flanc de collines dans des maisons qu’elles ont construites elles-mêmes en planches ou en pisé, le plus souvent à cinq ou dix kilomètres du centre-ville. Beaucoup de parents partent le matin, marchent jusqu’à la ville où ils vendent quelques fruits, un peu de pétrole, quelques cigarettes. Certains se proposent pour charger ou décharger des camions. Ils ne rentrent le plus souvent qu’en fin de journée.

Des jeunes attentifs aux enfants.

Quelques jeunes, dans un des quartiers les plus pauvres de Bukavu, ont compris l’inquiétude des parents. En 1997, ils vont rassembler ces enfants livrés à eux-mêmes en s’inspirant du mouvement Tapori (Branche enfance d’Atd Quart Monde), que l’un d’eux avait découvert au Burkina Faso.

Faustin, un des premiers “ animateurs ”, nous a raconté son engagement :

“ Je passais ma journée avec eux. Au début, les parents pensaient que j’avais de l’argent parce que j’étais hébergé chez les pères de la paroisse. Ils me disaient : “ J’ai faim ” ou “ Je suis malade ” ou “ Mon enfant n’a pas de quoi payer l’uniforme de l’école, on vient de le chasser ”. Ils pensaient aussi que je recevais quelque chose pour m’occuper des enfants. Ils ne me croyaient pas quand je disais que je n’avais rien, mais, peu à peu, ils ont vu qu’à part ma chambre, je n’avais rien, j’étais comme eux. Ma famille est à quatre cents kilomètres de Bukavu, je n’avais plus de nouvelles d’elle, elle avait dû s’enfuir dans la forêt.

Quand je disais aux parents que Tapori est un mouvement de lutte contre la misère, à partir des enfants, ils ne me croyaient pas car on ne distribuait rien. On aidait aussi les enfants dans leurs efforts pour soutenir leur famille. Certains s’occupent de petits travaux ménagers, gardent leurs jeunes frères et sœurs, vont puiser de l’eau, chercher du bois de chauffe, laver le linge... On s’entraidait, par exemple, pour porter la canne à sucre ou chercher la nourriture pour les chèvres, les lapins ou les cobayes. Les enfants sont conscients de leurs responsabilités familiales. Certains d’entre eux vont à la rencontre de leurs parents le soir et les aident à porter les paquets ; d’autres s’occupent d’un petit commerce (vente de pétrole, bonbons, allumettes... )

Quand les travaux étaient terminés, on jouait, on chantait ; les écoliers qui connaissaient des poèmes les apprenaient aux autres. Les parents nous remerciaient : “ En vous occupant de nos enfants, vous nous enlevez une inquiétude. On sait qu’ils ne sont plus seuls ”

Peu à peu, les enfants ont découvert des mini-livres Tapori (Cette collection, “  les enfants du courage ” veut permettre de bâtir l’amitié entre les enfants. Les mini-livres sont publiés en plusieurs langues) qui présentent la vie et le courage d’autres enfants en divers pays... Avec Manuelito (Guatemala), Leah (Etats-Unis), Mamadou et Jean (Sénégal), ils ont vu comment chacun aidait aussi ses parents. Progressivement, ils ont accepté d’aider d’autres personnes, d’aller chercher du sable en bas de la colline pour le remonter là où le maçon devait cimenter autour du robinet communautaire. Ils ont aidé à la réfection d’un mur en terre de la maison d’une vieille femme.

Personnellement, je me soucie de leur montrer, par exemple, comment faire un élevage de petit bétail ou aider ceux qui ne sont pas alphabétisés.

Avec toutes nos visites dans les familles, les gens nous connaissent bien maintenant. Notre groupe s’est étendu à une centaine d’enfants. Ce qui nous encourage, ce sont certains parents qui nous disent : “ Depuis que mon fils est avec Tapori, il commence à s’occuper du clapier de la famille ” ou “ Mes enfants ne traînent plus en ville, ils jouent au football ensemble, ils se respectent plus ”.

Lorsque nous faisons un rassemblement avec les enfants, les parents sont là et certains vont même payer des boissons ou quelque chose à manger alors qu’ils sont très démunis. C’est le cas chaque 17 octobre, Journée mondiale du refus de la misère, ou lors de la Journée de l’Enfant africain, le 16 juin ”

Les enfants actifs dans la communauté.

Au fil des années, les enfants Tapori, soutenus par des jeunes “ animateurs ” et par leurs parents ont posé des gestes qui témoignent de leur refus de la misère et de l’exclusion des plus faibles. Ils savent que pour faire bouger les choses, il faut s’unir. Comme le dit l’adage : “ Le feu brûle tout haut si chacun y apporte son morceau de bois. ”.

En 2002, un groupe Tapori de Bukavu est allé visiter les enfants Tapori de Goma (dans le Nord-Kivu) pour les soutenir après l’éruption volcanique qui a ravagé toute la ville.

Quelques enfants ont demandé aux adultes de les accompagner dans leurs visites à la prison. Chacun apporte ce qu’il a, un kilo de pommes de terre ou de riz ou un peu d’argent. D’autres visitent les malades à l’hôpital, particulièrement dans le service où se retrouvent des malades en situation difficile, trop démunis pour régler les frais ou marginalisés à cause du sida. Ils visitent aussi les enfants dénutris.

A l’occasion de la Journée mondiale de l’eau, dix enfants ont nettoyé la borne fontaine de leur quartier. Quand les parents les ont vus, ils se sont rendu compte que c’était à eux de le faire. Ils ont pris la bêche et ont nettoyé le canal.

Une autre année, les enfants se sont retrouvés avec quelques adultes pour réfléchir sur l’importance de l’eau, à la ville comme dans les villages, en s’appuyant sur la campagne lancée dans La lettre de Tapori : “ Les petites gouttes d’eau deviendront rivière ”. En présence des autorités, de certaines organisations non gouvernementales (ONG), et ensuite dans une émission de radio, les enfants ont demandé la réduction des factures d’eau pour les familles pauvres en période de guerre. La société civile a repris cette proposition des enfants, portée au Parlement, et appliquée dans une autre ville.

Après les violences qui ont ébranlé la ville en juin 2004, certains enfants Tapori ont repris les cours mais deux semaines après, la plus grande partie d’entre eux étaient déjà à la rue à cause des dettes de l’année passée. Un des animateurs est allé plaider en leur faveur auprès des directeurs d’école en leur apprenant que presque tous les parents avaient été pillés lors des troubles. Les écoliers ont été réintégrés.

Durant l’année, les enfants ont fait des animations sur l’importance de l’enregistrement des bébés à la naissance.

A la rencontre d’enfants démobilisés.

Les enfants voient continuellement les convois des forces du maintien de la paix sillonner la ville, ils voient aussi circuler les jeunes soldats armés, ils sont témoins ou victimes des violences exercées lors de rafles ou de fouilles dans les quartiers. Et leurs chants, leurs sketches réclament la paix : “ La paix pour grandir, la paix pour apprendre, la paix pour espérer ”.

Un groupe Tapori a demandé à ses “ animateurs ” de l’accompagner dans un centre d’enfants démobilisés pour rencontrer des “ enfants soldats ”. A travers des danses, des poèmes, des chants, les enfants du groupe ont montré ce qu’est Tapori, ce que doit être un enfant Tapori. Ils leur ont demandé de ne plus porter les armes. Les enfants démobilisés ont promis de rester en contact avec eux.

Les enfants ont aussi lancé un message aux autorités de Bukavu pour que la paix revienne dans les villages et permette la reprise des activités agricoles et la fin de la malnutrition. Dans un autre groupe, les “ animateurs ” composent des chansons à partir de la vie des enfants et ils exhortent au respect de la dignité humaine de tout citoyen, au partage, à l’amitié entre tous et à la paix. Ils organisent des concerts qui leur permettent de rejoindre de nouveaux enfants et de dialoguer avec les adultes.

Les enfants entraînent leurs parents.

En 2005, des groupes Tapori existent dans les cinq secteurs de la ville de Bukavu, rassemblant chacun entre quarante et cent cinquante enfants. Des groupes se sont créés dans d’autres villes du pays parce qu’un “ animateur ” ou des enfants y ont déménagé.

Une des évolutions les plus marquantes de l’action de ces différents groupes Tapori est l’engagement de jeunes qui ont participé aux activités lorsqu’ils étaient enfants et qui sont devenus “ animateurs ” à leur tour. “ On a planté une graine de paix dans l’esprit des enfants et des jeunes ”

Des jeunes, des pères et des mères de famille avec six ou huit enfants s’impliquent de plus en plus nombreux avec les enfants. Cela influence leur façon d’être dans la communauté, comme l’explique l’un d’eux : “ Je suis animateur communautaire à l’hôpital. Avec ce que j’ai appris du Mouvement Tapori, je reste avec les pauvres qui ne sont visités par personne. Je parle avec eux, je les écoute, je fais entendre leur voix aux autres personnes et je travaille avec eux pour qu’ils sortent de cette misère-là ”

Dans chaque quartier, les parents reconnaissent que les enfants combattent la misère à travers des petits travaux dans le ménage et qu’ils sont un réconfort pour ceux qui sont exclus de l’école. Leur manière de se rassembler, même de jouer au football sans arbitre, de soutenir les plus faibles de la communauté pousse les parents à se parler, eux aussi, à refuser de s’enfermer dans des clans ou de se méfier des autres.

Cela renforce la conviction de chacun que, malgré l’insécurité, la paix et l’avenir sont en marche. Comme le disait un père de famille : “ Tapori nous a aidés à aider beaucoup de familles différentes pour l’éducation des enfants. Les familles commencent maintenant à s’unir et cela nous donne beaucoup d’espoir que nos enfants grandiront bien à cause de ce refus de la misère, de la violence ”

Pensées d’enfants et de jeunes.

“ On apprend à vivre avec les vieux, les parents et à vivre ensemble entre enfants, comme des enfants de même père, de même mère. On s’entraide et on fait le respect entre nous ” Odile, 9 ans.

“ J’ai 8 ans. J’ai fait seulement la première année primaire. Mes parents ne sont pas en mesure de supporter les frais. Chaque jour, je viens au port ramasser des épis de sorgho et de maïs, des morceaux de manioc et après je les vends pour aider ma famille. René, je suis content de voir que tu me considères. Les autres nous chassent. Ils nous disent que nous sommes comme des chiens qui cherchent des os à la poubelle. Nous sommes pauvres mais nous voudrions avoir des amis. Quand nous saluons certains, ils ne répondent pas, ils croient que nous voulons demander. Quand nous voyons des gens nous saluer, nous nous sentons bien ”. Eric

“ J’ai 18 ans. Ce qui me touche, c’est que les enfants malgré la pauvreté arrivent à se réunir et à se considérer. Ceux qui sont moins pauvres n’arrivent pas à déconsidérer les autres qui sont les plus reculés. Sur ce, moi aussi, j’ai commencé à considérer les autres.

Dès fois, on se fait des ennuis avec des jeunes au quartier. Pour donner de la valeur aux enfants qui sont marginalisés, souvent appelés des “ maïbobo ”, on s’est fait ami avec eux et c’est comme ça qu’ils sont motivés. Mais nous, on est vus aussi comme des “ maïbobo ” et les gens nous traitent de vauriens ” Evariste.

“ Dans notre groupe, le plus grand porte le petit dans sa main, les propres considèrent les sales, ceux qui portent des souliers considèrent les pieds nus. Même s’il passe là où il y a un pauvre, avec une odeur bizarre, l’enfant aura le courage de saluer le pauvre. Il n’aura même pas peur. Il sait que le pauvre, même s’il n’a rien, a un droit d’existence sur la terre des hommes. L’enfant doit le considérer et s’il a quelque chose à lui donner, lui donner. Avec les enfants, j’apprends la tolérance et le pardon... ” René.

Elisa Hamel

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Philippe Hamel

Volontaires d’ATD Quart Monde depuis 32 ans, Elisa et Philippe Hamel soutiennent actuellement les engagements des équipes et des groupes Atd Quart Monde en Afrique, où ils ont eux-mêmes vécu avec leurs enfants pour créer une antenne d’Atd Quart Monde à Dakar. Ils habitent aujourd’hui à Ouagadougou (Burkina Faso)

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