La vidéo, outil de connaissance et de communication

Philippe Hamel

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Philippe Hamel, « La vidéo, outil de connaissance et de communication », Revue Quart Monde [Online], 228 | 2013/4, Online since 05 May 2014, connection on 13 October 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/5791

Au Burkina Faso, la vidéo s’est révélée très utile et appropriée pour solliciter la participation de tous au processus de réflexion sur les OMD, en particulier sur les questions d’éducation. L’auteur livre son expérience sur l’utilisation de ce média. Son texte est suivi d’extraits de la vidéo On se bat tous les jours contre la misère.

Index de mots-clés

Audiovisuel

Au Burkina Faso, la vidéo a été utilisée à toutes les étapes de l’évaluation des OMD, centrée sur l’éducation pour tous. Cette évaluation a débouché sur un séminaire international à Ouagadougou sur le thème : Les plus pauvres, partenaires d’une éducation réellement pour tous : sur quels savoirs prendre appui ensemble pour ouvrir l’avenir de tous.

Dans un premier temps, les membres d’ATD Quart Monde ont fait des interviews approfondis (enregistrés en audio seulement) de personnes vivant la grande pauvreté comme de spécialistes de l’éducation, sur leur parcours personnel d’apprentissage et leur vision d’une éducation réellement pour tous. De tout ce travail de connaissance, deux thèmes majeurs ont émergé : « Les savoirs fondamentaux sur lesquels chacun bâtit sa vie » et « Les conditions de la réussite éducative pour tous ». L’équipe d’ATD Quart Monde a ensuite proposé à certaines personnes de refaire des interviews ciblées et filmées pour bien comprendre comment elles vivent et contribuent à ces deux thèmes.

En visionnant ces vidéos dans leur langue, les membres du Mouvement retiennent tel ou tel exemple, comprennent mieux le savoir de ceux qui n’ont jamais été à l’école. Ils trouvent de nouveaux mots, de nouvelles façons pour redire leur propre expérience qui est souvent proche, ils se sentent mieux armés pour poursuivre le dialogue autour de ces questions dans leur propre communauté.

Après, il m’a été demandé, en tant que cinéaste, de faire une sélection de passages essentiels dans ces interviews pour en faire un montage en essayant de trouver un juste équilibre entre la contribution des personnes ayant l’expérience de la grande pauvreté et celle de spécialistes de l’éducation.

J’ai surtout recherché des extraits où ces spécialistes « n’expliquent » pas la situation des personnes exclues du système scolaire, mais où ils disent comment ces personnes vivant la pauvreté les interpellent dans leurs propres analyses et leurs responsabilités éducatives.

A partir de là, j’ai proposé de courts montages (de dix à quinze minutes) destinés à introduire les thèmes de chaque journée du séminaire et à soutenir le temps de retransmission avec le grand public. Ces vidéos ont été visionnées, rediscutées avec l’équipe d’animation du séminaire pour faire des allègements, des corrections, avant d’être validées par les personnes concernées. Par exemple, Fatimata a visionné et donné son accord pour la diffusion de son témoignage où elle explique comment le courage de ses parents aveugles lui donnait la force d’aller à l’école, souvent le ventre vide. Elle dénonçait aussi certaines institutions qui veulent aider les enfants de familles nécessiteuses en les parrainant mais surtout en les contrôlant. On l’a pratiquement forcée à faire de la couture, on exigeait d’elle de présenter son bulletin chaque semaine alors qu’elle avait de bonnes notes. Elle est revenue le lendemain en me disant qu’elle ne voulait pas terminer son intervention sur une dénonciation. Elle m’a demandé de la réenregistrer pour préciser : « Je donne aussi une formation aux jeunes filles dans un centre de formation. Je leur apprends ce que j’ai appris, en couture, et je leur apprends aussi à savoir se battre. »

Pendant ce séminaire international de Ouagadougou, les participants ont souvent demandé de visionner deux fois ces vidéos de lancement qui leur permettaient de partir avec des paroles fortes, des exemples significatifs dans leurs travaux d’atelier.

Un autre type de vidéo a aussi été réalisé pour présenter des initiatives en matière d’éducation pour tous. Par exemple, à Tanghin, l’équipe a fait des interviews et des images d’une action de partage des savoirs initiée par André Compaoré1 où les enfants découvrent le monde à travers les livres, s’intéressent aux savoirs traditionnels par la création artistique. Cette action, qui renforce l’amitié entre les enfants, permet peu à peu aux parents qui se fréquentent à travers la bibliothèque de rue de renouer des liens communautaires.

A partir des indications de l’équipe, j’ai pu réaliser un petit film qui a donné beaucoup de sécurité aux animateurs de cette action pour engager un dialogue avec les participants du séminaire, non seulement sur les activités, mais surtout sur les changements que cela provoque et comment ces actions contribuent à une éducation réellement pour tous.

Dans les jours qui ont suivi le séminaire, des agents du Ministère chargé du suivi des ONG voulaient visiter rapidement les projets du Mouvement. L’équipe trouvait difficile de faire cette « inspection » sans avoir vraiment le temps de la préparer avec les familles concernées. La vidéo sur l’animation a servi de support à cette rencontre et a permis de présenter comment les familles pauvres sont impliquées et ce que cela change dans leur vie.

Cet outil va servir aussi à la formation de futurs bénévoles qui veulent s’impliquer.

Rester maître de sa propre parole...

Dans le cadre de l’évaluation des OMD, d’autres pays (Maurice, Belgique, Bolivie, Philippines….) ont aussi utilisé cet outil pour permettre à des personnes très différentes d’apporter leur contribution et de croiser leurs expériences, leurs solutions. Parfois, certaines qui n’osent pas parler en public, ont accepté d’être interviewées par des personnes de confiance pour partager non seulement leur vécu souvent difficile, mais aussi leur réflexion et leur expérience. Après visionnage, elles ont accepté qu’une partie de leur témoignage soit présenté dans une session de travail ou un séminaire. C’est aussi une manière de faire exister ceux que l’on voit peu ou que l’on entend rarement.

Pour d’autres, c’est un moyen privilégié de se préparer à intervenir dans une rencontre publique, avec la certitude que même si on n’a pas dormi la veille à cause des soucis dans la famille, on aura, avec la vidéo, la base d’une intervention solide que l’on pourra compléter et qui fera réagir les participants.

Cette même démarche est souvent faite pour aider une délégation à préparer ensemble une contribution qui sera présentée lors d’une rencontre nationale ou internationale.

Dans mon expérience de volontaire à ATD Quart Monde et de cinéaste, j’ai remarqué que, lorsque des personnes très pauvres partagent localement leur combat quotidien pour garder leur dignité, accéder à l’éducation, à la santé, etc., quand elles font des propositions, dans le meilleur des cas tout ceci sert de support à une contribution écrite. Mais bien souvent, quand vient le temps de s’exprimer à l’Université, dans un séminaire régional sur le développement ou auprès d’instances de décision, ce sont d’autres qui s’expriment à partir de l’expérience transmise par ces personnes vivant la pauvreté. On coupe souvent l’analyse que ces personnes font de leur situation, des responsabilités de l’ensemble de la société, ou bien on reste sur le registre de l’émotion.  On ne voit plus, on n’entend plus la violence et l’inacceptable de la misère, le sens de certains silences et les solutions que ces personnes proposent pour que chacun s’unisse avec eux pour refuser la misère.

Par contre, si on a préparé et validé en groupe une contribution sous forme de vidéo, les paroles, les exemples, les propositions iront partout sans être déformées et même jusqu’à l’ONU à New York, comme cela a été le cas en juin dernier dans le cadre du séminaire international sur les OMD. Ces vidéos peuvent interpeller d’autres personnes vivant la pauvreté (mais aussi des décideurs, des experts) venant d’autres continents par la magie des traductions et des doublages.

Souvent les gens me disent : « Avec ces vidéos, on ne parle pas à la place des familles très pauvres. Cela nous introduit tout de suite dans leur vie, leur pensée, leur expérience».

... Et entendre autrement celle des interlocuteurs

Lorsque des personnes vivant sous les ponts à Manille découvrent comment d’autres, comme elles, récupèrent des bouteilles de toutes sortes pour faire vivre leur famille à Maurice ou à Madagascar, elles « entendent » autrement les expériences venues d’ailleurs, elles ont en mémoire comment celles-ci ont été approfondies durant un séminaire. En ayant la vidéo dans leurs bagages, elles peuvent ainsi être les moteurs d’une retransmission dans leur propre pays et faire vivre les propositions et solutions mises en avant.

Souvent ces outils vidéo de connaissance, quand ils sont bien illustrés, remis en contexte, deviennent, avec l’accord des gens concernés, des films pour une vraie sensibilisation. Et lorsqu’un universitaire, un fonctionnaire ou une mère de famille d’un quartier pauvre, qui ont témoigné dans ce genre de film, organisent une rencontre dans leur Université, leur service ou leur quartier, ils peuvent inviter les autres « acteurs » du film à les soutenir.

Ils deviennent, ensemble, de véritables acteurs de changement et de propositions.

En encadré

Extraits de la vidéo « On se bat tous les jours contre la misère »

Sénégal

Jean Diène :

Quand on est dans la misère, ce qu'on craint, c'est de ne pas pouvoir aider les enfants, ni la famille.

Les enfants ne mangent pas à leur faim, ils ne se soignent pas quand ils sont malades, alors tu te sens humilié.

Tu es condamné à fuir pas seulement la misère mais aussi les paroles des gens…

Ceux qui vivent dans la misère, ce sont des gens très dignes… Ils pensent toujours à leur famille.

Bolivie

Juana Calle :

(…) Pendant ma grossesse, le médecin, m'a dit : « Qu'est-ce que tu veux ? Pourquoi n'as-tu pas fait ton échographie ? » Il m'a examinée sans rien dire (…) Quand mes filles sont nées, (…) au bout de deux ou trois jours ils m'ont fait sortir avec les cicatrices et tout, en marchant. Quand je suis revenue me faire contrôler, le médecin m'a dit : « Pourquoi tu ne t'es pas lavée ? Cochonne !» (…) Ils ne te traitent pas normalement.

Belgique

Michel Brogniez :

Moi j’ai été placé à l’âge de deux ans et demi, j’ai été dans la violence. (…) On m’a maltraité…

J’ai été trois ans dans la rue, j’ai dormi dans les usines, dans les vieilles maisons abandonnées et tout. Trois ans comme ça, sans sécurité, sans rien…

On est tellement écœuré qu’on ne parvient plus…, donc il y a le silence. Le silence, c’est comme la nuit.

Pourtant on aimerait voir le jour.

Philippines

Waldo :

Selon moi, le logement n’est pas assez pris en compte dans les huit objectifs des OMD.

Aux Philippines, le vrai problème des pauvres, c’est le logement.

J’ai commencé à récupérer des bouteilles usagées. Je suis arrivé ici où j’ai appris à vendre des cigarettes. Si tu n’as jamais été à l’école, la seule chose qui te reste, c’est l’expérience.

Île Maurice

Tilly :

Il nous faut lutter pour soutenir notre foyer. Il faut que les enfants aillent à l’école.

J’ai voulu commencer à apprendre à lire, parce que je ne savais pas.

J’avais peur de me rendre dans un bureau, car s’il me fallait signer un papier, je ne savais même pas comment le faire. Il fallait apposer son pouce, et cela est embarrassant.

J’apprenais à chanter dans une chorale, des amis qui nous faisaient pratiquer. Mais au moment où les livres de cantiques ont commencé à être utilisés, je me suis retirée de l’église…

Au début pour apprendre, j’avais du mal. Mais suite à des efforts, après maintes difficultés et malgré mon cerveau qui chauffait, j’y suis parvenue.

Nous étions une douzaine au début (…) A la fin du cours, nous étions six.

Brésil

Mères de famille :

- La bourse familiale est un soutien, mais la faim reste…C’est juste une aide. Elle n’apporte pas la dignité.

- Beaucoup de gens veulent des opportunités de travail mais n’en ont pas.

Grande-Bretagne

Moraene Roberts :

Nous avons entendu des gens de partout dans le monde sur comment ils ne pouvaient pas dire ce qu'ils sentaient, comment ils ne pouvaient pas participer à la prise de décisions parce que personne ne pensait qu'ils avaient quelque chose à dire pour contribuer.

Si tu ne peux même pas dire ce que tu penses et ressens, cela te casse, cela te blesse. Et des personnes cassées qui vivent ensemble, deviennent une communauté cassée, une société cassée.

Tarbes (France)

Véréna :

Quand on vit dans la rue, le plus dur, c’est le regard des autres. Un soir où il pleuvait tellement (…) j’ai vu arriver des caravanes de gens du voyage et gentiment, ils m’ont hébergée.

Je gardais leurs enfants quand eux allaient travailler. Il n’y avait qu’un seul livre dans la caravane et avec moi, ils ont appris à lire…

J’ai participé à une formation avec des personnes qui ont vécu comme moi la misère et des travailleurs sociaux. Cela n’a pas toujours été facile de faire comprendre notre langage.

Ca m’a permis de relever encore plus la tête… et de me battre aux côtés des gens qui vivent dans la misère.

Une bibliothèque de rue s’est rouverte sur Tarbes avec les enfants des gens du voyage et je me suis proposée.

Il y a des enfants qui n’auraient jamais été à l’école. Et aujourd’hui, ils y sont.

Rwanda

Monsieur :

Avec le génocide que nous avons connu dans notre pays, il y a beaucoup de gens qui n’ont pas de maisons.

Madame :

Moi je suis venue aider dans cette activité avec mes voisins, parce que moi-même j’ai vécu dans la solitude pendant douze ans.

Bélancille :

Parce que quand tu sors de la solitude, tout devient possible. La solidarité te permet de retrouver ton intelligence, tu redeviens calme, tu vis davantage en paix avec les autres.

Judith :

La sueur que je mets dans le champ de mon voisin parle plus fort que toutes les paroles.

Haïti

Saint Jean :

Ce qui m’a le plus frappé, c’était vraiment la solidarité inter-haïtienne en général, mais aussi la solidarité entre les familles pauvres. (…) Et parfois ce sont les familles mêmes qui nous conduisent vers d’autres personnes, plus vulnérables encore.

Belgique

Michel Brogniez :

(…) Si tu as la misère, tu n’auras jamais la paix.

 (…) La paix, elle va commencer le jour que tu vas réaliser que celui qui est devant toi est la même chose que toi, un être humain à respecter. Là va commencer la paix.

1 Voir Revue Quart Monde N°226.
1 Voir Revue Quart Monde N°226.

Philippe Hamel

Philippe Hamel, volontaire d’ATD Quart Monde depuis 40 ans et cinéaste, travaille actuellement au sein du Pôle expressions publiques où il réalise des documentaires pour soutenir l’expression des populations que l’on n’entend pas et présenter certaines actions du Mouvement.

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