L’événement est passé inaperçu ou presque : l’Unicef, en l’occurrence son centre de recherches de Florence1, a publié en ce début 2005 son premier rapport sur la pauvreté des enfants dans les économies développées2. Quelques brèves, quelques chiffres choc, ont paru dans la presse, l’attention se concentrant davantage sur le classement individuel de chaque pays – la France est-elle mieux placée que la Belgique ? la Belgique mieux que la Norvège ? l’Italie mieux que l’Espagne ? - plutôt que sur les enseignements généraux de ce premier rapport. Quels sont-ils ? Le rapport établit que la proportion d’enfants pauvres dans le monde développé a augmenté dans 17 des 24 pays de l’OCDE où des données sont disponibles. La conviction répandue que cette pauvreté des enfants diminue régulièrement ne correspond donc pas à la réalité. Ce développement de la pauvreté des enfants n’est évidemment pas sans conséquences sur l’équilibre général de nos sociétés. “ Nombre des problèmes les plus ardus auxquels sont confrontées les sociétés économiquement développées apparaissent de quelque façon liés à la pauvreté, au désavantage, et à l’absence de possibilités durant les premières années de la vie ”. Quelles que soient les définitions données à la pauvreté, l’évaluation est sans appel, et de nombreux tableaux l’illustre : la situation des enfants pauvres et de leurs familles n’a cessé de se dégrader au cours de la dernière décennie. “ L’Unicef considère que les pays de l’OCDE doivent impérativement inverser cette tendance ”. Pourquoi ? Parce qu’elle constitue une violation de la convention relative aux droits de l’enfant, au respect de laquelle ces pays sont tenus. Voilà qui nous conduit à souligner, au-delà même de son contenu, l’importance de l’existence d’un tel rapport, le premier du genre. Nombreux sont ceux qui l’attendaient depuis longtemps, comme en témoigne le texte qui suit, prononcé en mai 1980, par le père Joseph Wresinski, devant le Comité des ONG auprès de l’Unicef, au lendemain de l’Année internationale de l'Enfant (1979) : “ Les enfants nous ont rappelé que, pour les enfants, le monde fait un tout, il n’y a qu’un seul monde. Eux, refusent en quelque sorte que le monde soit réparti en premier, second, tiers et même quart monde. Les enfants n’ont pas cessé de nous répéter : "Nous voudrions pouvoir, tous, nous rencontrer ; nous voudrions pouvoir, tous, parler ensemble, nous voudrions avoir des amis partout". Car "le soleil brille pour tout le monde" ”. Comment devrions-nous nous organiser pour ne former qu’un seul monde ? disait-il, en formulant une requête : celle d’un nouveau mandat pour l'Unicef. “ Il n’est pas normal que tous les enfants du monde n’aient pas une seule et même agence connaissant leurs conditions et leurs besoins, servant d’animateur, de catalyseur, de rassembleur d’intelligences et de bonnes volontés, garante du respect que nous leur devons. Refuser cette idée, ce serait refuser de prendre au sérieux l’appel des enfants. Elaborer un nouveau mandat pour l'Unicef, n’affaiblirait en rien son rôle à l’égard de cette partie du monde que nous appelons le Tiers. Ce serait au contraire l’enrichir. Les enfants des pays en développement, tous les enfants pauvres du monde en profiteraient. Le fonds financier doit leur rester entièrement consacré. Mais à ce fonds financier s’ajouterait beaucoup plus qu’auparavant, un fonds de connaissances, d’inspirations, d’innovations. Et l’Unicef deviendrait enfin ce qu’il n’a pas été jusqu’à présent : un fonds mondial de l’Enfant. Rendre mondial l'Unicef, c'est rendre universels la cause, mais aussi l’esprit et le cœur des enfants, les libérant de tous les clivages et faisant d'eux de véritables citoyens du monde ”.
Nous ne présenterons pas ici les analyses et mesures que développent ce rapport. Epinglons au passage la notion, intéressante, d’un seuil anti-retour de pauvreté, qui rappelle l’exigence, développée notamment dans le rapport Grande pauvreté et précarité économique et sociale du Conseil économique et social français (1987), de doter nos sociétés de véritables planchers en dessous desquels nul ne puisse tomber sans susciter une mobilisation immédiate de toute la société. Et, à noter en ces temps de restrictions budgétaires, cette affirmation : “ Il revient fondamentalement à l’Etat de protéger les faibles et de protéger l’avenir. Les enfants sont l’un et l’autre ”.
Le Centre Innocenti conclut en parlant de ce “ premier rapport annuel Innocenti sur la pauvreté des enfants ” : puisse-t-il être entendu et en recevoir les moyens.