Dans ce grand et simple roman, Tahar Ben Jelloun conjugue tous les thèmes qui ont nourri jusque-là son œuvre et l’histoire de son peuple : le déracinement et l’exil, la fatalité du malheur, le déchirement entre deux cultures - sans qu’un véritable choix soit possible - la condition des femmes d’Afrique, celles qui vivent encore les yeux baissés… Dans l’âpre dénuement d’un village berbère du sud marocain, une petite fille - la narratrice - trompe sa solitude en donnant libre cours à son imagination. Elle essaie d’oublier sa tante, incarnation du mal, découvre la cruauté, rêve à son père parti travailler en France et porte en elle un indicible secret laissé par l’arrière-grand-père : celui du trésor enfoui dans la montagne qu’elle seule, au nom du village, pourra découvrir…
Le père revient de « La France » pour arracher sa famille au désastre du village et la ramener à Paris, dans le quartier de la Goutte d’or. La narratrice découvre alors un univers qu’elle ne soupçonnait pas : les voitures et la pluie, mais aussi les livres et la langue française, l’égoïsme raciste des uns, la générosité des autres, et plus tard, l’amour…
Ce long apprentissage, cette « deuxième naissance », marque aussi un lent et irrésistible déracinement, qui laissera l’ancienne « petite fille » dans l’ambiguïté d’un territoire nouveau : un « troisième lieu » qui n’est ni la terre natale ni le pays d’adoption, mais le résultat de sa propre volonté d’intégration à deux cultures qui lui seront toutes les deux indispensables.
Le style d’écriture du livre est aussi passionnant que l’histoire racontée, style de conte oriental pour la partie qui se passe dans le sud marocain rempli de l’imaginaire de cette petite fille qui s’invente es personnages, qui les fait vivre dans son histoire.
Style beaucoup plus concis pour dire la découverte de Paris, la soif d’apprendre, de s’intégrer, de comprendre et d’être comprise, enfin de ne plus vivre ‘les yeux baissés. »