Là-bas et ici

Pascal Lallement

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Pascal Lallement, « Là-bas et ici », Revue Quart Monde [En ligne], 180 | 2001/4, mis en ligne le 05 mai 2002, consulté le 20 avril 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/1816

En Afrique ou en Europe, des êtres humains usent la même énergie autour de vieilles pompes...

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Eau, Biens communs

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Burkina Faso, France

Du Burkina Faso où j’ai passé plusieurs années, me revient du Sahel l’image d’une pompe couleur rouille, cassée, abandonnée, la barre pour pomper avait disparu.

A quelques centaines de mètres, un groupe – des Peuls nomades et leur troupeau de vaches efflanquées. Allaient-ils installer leur campement là ? Avec des outres qu’ils tiraient à l’aide d’une ficelle, ils puisaient l’eau pour eux et leurs bêtes dans les trous d’une mare en voie d’assèchement. Quelle énergie il leur fallait déployer pour obtenir ce bien vital qu’est l’eau !

En Ile de France où je suis maintenant, au bout d’un chemin défoncé, près de tôles, d’abris, de véhicules hors d’usage, une pompe, elle aussi cassée. Je la croyais abandonnée... objet anachronique dans notre société, qui en a besoin ? Et pourtant, elle fonctionnait, elle avait même un bon débit. Des hommes, des femmes, des enfants y remplissaient bidons, jerricanes et seaux. Tout le monde servi, elle continuait à couler, rattrapait la rue et son caniveau : le système de fermeture trop usé était inutilisable. Au fil des jours, la pompe avait perdu son enrobement, il ne restait plus que le tuyau. Un jour, la fontaine a disparu, le trou bouché, le sol nivelé, effaçant toute trace de cette fontaine. Que sont devenus tous ces gens qui venaient y remplir leurs seaux ? Sont-ils partis ? Ont-ils bénéficié de l’adduction d’eau ? Non, ils sont restés sans eau et ont dû se débrouiller. Ils vont maintenant à une borne à incendie, mais c’est plus loin. Les plus chanceux chargent leur voiture de bidons ou traînent une citerne. Les autres chargent une poussette et sont suivis par des enfants portant ce qu’ils peuvent, quand ils ne se font pas interpeller pour « vol d’eau » : la borne d’incendie n’est pas prévue pour un usage domestique !

Pénurie et privation

Là-bas, au Sahel, l’eau est précieuse parce que rare. De petits métiers se sont créés autour de sa distribution, car les robinets à domicile sont rares aussi. Les porteurs d’eau livrent les gens chez eux. Ils remplissent leurs barriques et sillonnent les quartiers pour vendre l’eau. Ils gagnent juste pour se nourrir et avoir un toit mais pas assez pour faire vivre une famille.

Ici, les petits métiers d’eau ont disparu depuis longtemps. Mais il faut déployer la même énergie lorsqu’on est privé d’eau courante, à l’image de cette femme déposant ses cinq bidons bien alignés en me disant : « Aujourd’hui, j’ai fait cinq voyages, c’est jour de lessive ». Ou encore à l’image de ce couple qui aligne les bouteilles dans sa baraque au fond des bois : pour boire, cuisiner, laver. Eau si précieuse par la peine qu’elle coûte que le plus petit gaspillage provoque colère et exaspération.

Ici, pas de pénurie, l’eau n’est pas uniquement vitale, elle est confort, agrément de nos villes. L’eau est un droit, mais droit de plus en plus cher. Et quel droit à l’eau pour les habitués de la borne d’incendie ?

Et puis, il arrive qu’on oublie de faire les réserves, alors c’est la panique : plus d’eau pour laver la plaie de l’enfant qui se blesse, comment se laver, faire le café ?

L’hiver, l’eau gèle dans les récipients, alors on casse la glace pour la faire fondre.

Cette eau qu’il faut aller chercher peut aussi devenir de la boue autour des habitations. Au temps nécessaire pour aller chercher l’eau s’ajoute celui de nettoyer sans cesse l’intérieur, les chaussures toujours sales, les vêtements qui ne sèchent pas. Le moindre geste quotidien devient difficile, alors on s’enferme chez soi !

Là-bas, en saison sèche, l’eau devient encore plus rare. Il faut attendre à une pompe qui, lorsque votre tour arrive, n’a plus d’eau ; vous allez à une autre pompe en espérant cette fois être servi.

Les parents s’usent, se démènent pour vivre dignement. La quête de l’eau tient une grande place, là-bas parce qu’elle manque, ici parce que la distribution individualisée à l’extrême les a mis hors circuit. L’eau leur est inaccessible.

Ici et là-bas, ils déploient toute cette énergie pour que leurs enfants aient, eux, une autre vie. Près de Paris, cette jeune femme qui nous crie : « Je vais avoir un bébé, je ne vais pas rester ici sans eau, ce n’est pas possible. »

Pascal Lallement

Depuis 1990, Pascal Lallement est volontaire-permanent du Mouvement ATD Quart Monde qui lui a confié diverses responsabilités au Burkina Faso, dans la région Ile-de-France puis au Sénégal où il est depuis peu avec sa femme.

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