189 | 2004/1La rue n'a pas d'enfants

« La rue n’a pas d’enfants ! ». Ainsi s’exclamait, non sans un certain agacement, le père de l’un de ces trop nombreux enfants que, dans le monde entier, la misère contraint à quitter leurs familles pour aller vivre et travailler dans la précarité de la rue. Ils deviennent alors, dans nos statistiques - dont la fiabilité est plus que douteuse - et dans nos catégories mentales et administratives, des « enfants de la rue ». Sur Internet, le moteur de recherche le plus connu indiquait pour cette expression, il y a quelques jours à peine, onze mille deux cents pages en dix-sept secondes... Ils deviennent « enfants de la rue » comme d’autres deviennent des « sans domicile fixe », des « séropositifs », des « chômeurs de longue durée », des « assistés sociaux ». Autant de mots, autant d’appellations qui réduisent à rien l’humanité, l’unicité de la personne humaine, de ceux ainsi désignés. On meurt aussi, au moins socialement, d’être constamment désigné par les autres, qui s’arrogent le droit de dire qui vous êtes. Comme le disait le philosophe Martin Buber, les personnes sont reléguées au rang de choses quand le « je-cela » prend la place du « je-toi ».